Je vais te raconter une histoire Petit…

Publié le par LGV

J'habite la Terre du Milieu.

 

La nature y est jolie, verdoyante, arborée, vallonnée, l’eau abondante : ruisseaux, étangs, rivières.

 

Si nous sommes -peut-être- dans la représentation fantasmée de ce que le citadin ou disons l’humain du 21ème siècle se représente comme une Nature sauvage, une Nature naturelle, cette partie de la Terre du Milieu est pourtant le fruit de sa domestication obstinée.

 

Quadrillée de haies bien taillées, infranchissables dans leur fracas d’épineux, arbustes, orties, mûres, et autres végétaux férocement décidés à lutter contre cette volonté humaine de les rabattre. Elles protègent, encerclent les animaux à viande, plus rarement les laitiers souvent maintenus en stabulation par souci de rentabilité. Terres parcellisées, cultivées, entretenues dans un souci évidemment rentable, parce que la vie de la terre est rude, impitoyable pour les paysans qui luttent à l’heure de l’Europe et de sa politique agricole commune.

 

Terres gorgées de pesticides, d’engrais parce qu’ici en Terre du Milieu on sait Y faire depuis des générations, qu’on se connait tous à 40/50 kms à la ronde, que cette terre on la pétrit, laboure, ensemence, depuis l’arrière-grand-père, depuis l’avant d’hier, depuis si longtemps Petit que la mémoire l’a enfoui.

 

Cette Femme qu’on engrosse, Catin qu’on avorte, Sorcière qu’on éviscère, Vierge qu’on implore, cette terre on l’adjure, on l’exhorte, on l’implore de continuer à donner, d’être encore, vaille que vaille, la Mère Nourricière de toujours, et à jamais.  

 

Parce que si la terre est dans la famille depuis des lustres, son véritable propriétaire c’est la banque. Alors il faut vivre, survivre et on pense progrès, on pense nouvelles machines, nouvelles techniques de culture, d’élevage, on l’a vu à Paris, on l’apprend dans les lycées agricoles d’ici, et on s’endette, on n’en finit plus de courir vers demain, parce que la terre on connait…

 

Et jamais on ne questionne la fuite en avant.

 

Humains enclos comme le bétail des prés, humains quadrillés par les paysages qu’ils façonnent, que l’extérieur n’infiltre pas à l’image de ces haies, humains fourbus sous le joug des emprunts, privés de leur intelligence d’Homme parce qu’ensevelis sous la tâche, épuisés par les soucis et cette terre putassière qui s’est offerte au plus offrant, ils en ont oublié comment vivre debout, ils en ont oublié comment vivent les Hommes…

 

Penser leurs terres dans un rapport autre qu’immédiat et financier, penser la terre, ils ne savent plus faire.

 

Ces fermes où tu peux marcher dans la boue jusqu’à mi-mollet, où les vaches laitières sont écornées et trainent péniblement leur grand corps, épuisées de produire trop et pourtant jamais assez, dans ces fermes où le matériel agricole est éparpillé, où les veaux de lait sont encagés en attendant la boucherie, où les chiens errent sans fin, où des carcasses rouillées pourrissent en attendant demain, dans ces fermes Petit, on y tue la mauvaise herbe aux pesticides. 

 

Les mauvaises herbes sont à l’image de ces animaux dits parasites que l’on chasse avec ferveur.

Ici la saison de la chasse dure 365 jours, aucun repos pour les parasites : chat errant, martre, couleuvre, vipère, taupe, pie, hérisson, belette, herbes que l’on dit mauvaises, etc… la liste est longue de ce que l’on peut détruire à volonté, parce que « ça » ne sert à rien, parce que ce sont des empêcheurs de tourner en rond, qu’ils nuisent… à quoi ?

 

Dans ces fermes Petit, tu peux y voir l’âpre rudesse paysanne, un farouche instinct de survie, la volonté de rester ancré dans sa terre, le travail justement accompli, la misère, l’ignorance, l’abandon de soi, un âge féodal, la fierté de tenir, j’y vois une débâcle...

 

A suivre...

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L
Magnifique... Et j'adore la sonorité de ce ce bout de phrase : "et cette terre putassière qui s’est offerte au plus offrant" !! Ca pourrait être slamé :-)
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C
cest beau,tragique,vrai :vous etes magnifique...
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C
cest beau,tragique,vrai :vous etes magnifique...
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A
whouah, impressionnant, bien vu, bien retranscrit, bravo encore
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